Vous pensiez que les tiques hibernaient pendant l’hiver ? Détrompez-vous ! Une récente étude suédoise montre que ces acariens restent actifs et continuent de se nourrir sur les chevreuils, même lors des mois les plus froids.
Quand on pense aux tiques, on les imagine généralement actives au printemps et à l’automne, profitant des températures clémentes en quête d’un hôte pour se nourrir. Avec l’arrivée de l’hiver et son cortège de gelées, de neige et de froid, on se dit que ces acariens attendent patiemment le retour de conditions plus favorables. Pourtant, de plus en plus d’observations viennent bousculer cette vision. Des tiques ont été repérées sur des animaux en plein cœur de l’hiver, y compris dans des régions nordiques réputées pour leurs hivers rigoureux comme la Scandinavie.
Mais que signifient ces observations ? Les tiques profitent-elles simplement de l’abri et de la chaleur fournis par leur hôte pour passer l’hiver au chaud ? Ou sont-elles réellement actives, en quête d’un repas sanguin malgré le froid hivernal ? C’est la question à laquelle une équipe de chercheurs suédois a voulu répondre.
Une étude inédite sur l’activité hivernale des tiques
Pendant 3 hivers consécutifs, une équipe de chercheurs suédois a examiné des chevreuils sauvages dans deux régions aux climats contrastés. Leur but : déterminer si les tiques Ixodes ricinus, principales vectrices de maladies en Europe, étaient actives et en quête d’hôtes entre décembre et février. Ils voulaient aussi savoir si ces tiques étaient capables de s’attacher et de se nourrir sur les chevreuils malgré le froid. Les chercheurs ont recapturé et ré-examiné les mêmes chevreuils jusqu’à 10 fois par hiver. Au total, ce sont 301 examens qui ont été réalisés sur le site principal de l’étude. Les tiques trouvées sur les animaux ont été collectées et leur stade de développement a été déterminé.
Des tiques qui bravent le froid
Les résultats sont sans appel : 243 tiques Ixodes ricinus ont été récoltées sur les chevreuils entre mi-décembre et fin février sur le site principal, et ce pendant les 3 années de l’étude. Des tiques ont été trouvées attachées aux animaux dans 32 à 48% des examens selon les années.
En utilisant un indice basé sur l’état de gorgement des tiques, les chercheurs ont pu estimer depuis combien de temps chaque tique était attachée. Cela leur a permis de déterminer à quelle date les tiques avaient probablement trouvé leur hôte, et donc d’étudier quelles conditions météorologiques influençaient cette activité hivernale. Il s’avère que la température est le principal facteur : la probabilité de trouver une tique active est de 8% à -5°C et grimpe à près de 20% à +5°C. Les précipitations jouent aussi un rôle. Mais de façon surprenante, des tiques ont été trouvées actives même lors de températures négatives.
Cette étude documente pour la première fois une activité de quête d’hôte et de gorgement des tiques Ixodes ricinus en plein cœur de l’hiver scandinave. Un phénomène qui semble courant au vu des observations répétées sur plusieurs années et sites. De quoi bousculer nos certitudes sur l’écologie de ces acariens !
Quelles conséquences pour l’épidémiologie des maladies à tiques ?
Cette activité hivernale des tiques, observée de façon répétée pendant plusieurs années dans deux zones au climat différent, suggère qu’il s’agit d’un phénomène courant. Et il pourrait avoir d’importantes implications en termes de risque de transmission de maladies.
En effet, les tiques sont des vecteurs de nombreux agents pathogènes : bactéries responsables de la maladie de Lyme, virus de l’encéphalite à tiques, parasites comme Babesia, etc. Si elles sont actives une plus grande partie de l’année, cela augmente d’autant la période pendant laquelle elles peuvent transmettre ces pathogènes à leurs hôtes… et à l’Homme.
Jusqu’à présent, on considérait que le risque de piqûre de tique, et donc de transmission de maladies, était cantonné aux périodes printanière et automnales sous nos latitudes. Mais si les tiques sont aussi actives en hiver, c’est toute notre perception de ce risque qu’il faut revoir. Les promeneurs, chasseurs, bûcherons et autres amateurs d’activités nature pourraient être exposés bien plus longtemps dans l’année qu’on ne le pensait.
D’autant que le réchauffement climatique risque d’accentuer le phénomène. Des hivers plus doux avec des épisodes de redoux sont propices à l’activité des tiques . On observe d’ailleurs déjà une réactivation de plus en plus précoce des tiques dès le mois de février . Si les tendances actuelles se confirment, les tiques pourraient à terme rester actives toute l’année .
Le changement climatique favorise aussi l’expansion géographique des tiques vers des zones jusque là épargnées car trop froides, en altitude et en latitude . Combiné à une activité sur une plus grande partie de l’année, cela fait craindre une augmentation globale du risque d’exposition aux maladies transmises par les tiques dans les années à venir.
Quelles implications pour la prévention et l’anticipation des risques ?
Face à ce constat, il apparaît essentiel d’adapter les messages de prévention. Le grand public doit être sensibilisé au fait que le risque de piqûre de tique n’est plus cantonné au printemps et à l’automne. Les gestes de prévention comme le port de vêtements couvrants, l’utilisation de répulsifs et l’inspection minutieuse du corps après une sortie dans la nature doivent être appliqués toute l’année, même en hiver.
Il faut aussi renforcer la surveillance épidémiologique des maladies à tiques. Si l’activité des tiques s’étend sur une plus grande partie de l’année, on peut s’attendre à une augmentation des cas de borréliose de Lyme et d’autres infections. Un suivi attentif permettra de détecter rapidement ces évolutions et d’alerter les autorités sanitaires.
Enfin, la recherche doit se poursuivre pour mieux comprendre l’écologie des tiques en hiver et quantifier les risques associés. Des études sur la prévalence des pathogènes chez les tiques actives en hiver et leur capacité à les transmettre aux hôtes vertébrés sont notamment nécessaires. L’impact des changements climatiques sur la dynamique des populations de tiques doit aussi être finement modélisé pour anticiper les risques futurs.
L’activité hivernale des tiques n’est donc pas qu’un phénomène anecdotique. C’est un véritable enjeu de santé publique qui appelle une réponse coordonnée en termes de prévention, de surveillance et de recherche. Car une chose est sûre : avec le réchauffement climatique, les tiques n’ont pas fini de faire parler d’elles, même au cœur de l’hiver.
Conclusion
Cette étude apporte donc un nouvel éclairage sur l’écologie des tiques en démontrant pour la première fois leur capacité à rester actives et à se nourrir sur des hôtes même pendant les mois d’hiver les plus froids en Scandinavie. Ces observations suggèrent qu’il s’agit d’un phénomène courant qui pourrait avoir d’importantes implications en termes de risque de transmission de maladies.
En effet, si les tiques sont capables de piquer et de transmettre des agents pathogènes sur une plus grande partie de l’année, c’est toute notre perception du risque qu’il faut revoir. Les promeneurs, chasseurs et autres amateurs de nature pourraient être exposés bien plus longtemps qu’on ne le pensait, y compris en plein cœur de l’hiver. C’est une information précieuse pour adapter au mieux les stratégies de prévention et de gestion du risque.
Cette étude ouvre donc de nouvelles perspectives dans la compréhension de l’écologie des tiques et des maladies qu’elles transmettent. Elle souligne la nécessité d’une approche intégrée et sur le long terme, prenant en compte le triptyque animal-homme-environnement, pour faire face à cet enjeu sanitaire complexe et évolutif dans le contexte du changement climatique.
Pour une exploration plus approfondie, je ne peux que vous inviter à consulter l’article:
Article Source: Kjellander, P., Bergvall, U.A., Chirico, J. et al. Winter activity of Ixodes ricinus in Sweden. Parasites Vectors 16, 229 (2023). https://doi.org/10.1186/s13071-023-05843-9
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