Imaginez un monde où les araignées mortes reprennent vie pour devenir des composants robotiques. C’est la promesse étonnante de la nécrobotique, un nouveau domaine de recherche initié par des ingénieurs de l’université Rice au Texas.

 

Imaginez un monde où les araignées mortes reprennent vie pour devenir des composants robotiques. C’est ce qu’essaye de réaliser la nécrobotique, un nouveau domaine de recherche initié par des ingénieurs de l’université Rice au Texas. En tirant parti des architectures complexes des matériaux biotiques, c’est-à-dire dérivés d’organismes morts, ils ont réussi l’exploit de transformer une araignée en une pince robotique pneumatique fonctionnelle en une seule étape de fabrication. Cette approche novatrice, à la frontière entre robotique et biologie, ouvre de nouvelles perspectives pour créer des systèmes hybrides aux capacités inédites.

 

Fonctionnement d’une araignée “nécrobotique”

Le secret de cette prouesse repose sur le mécanisme unique de locomotion des araignées. Contrairement à la plupart des animaux qui utilisent des muscles antagonistes pour mouvoir leurs membres, les araignées s’appuient sur la pression hydraulique. Leurs pattes ne contiennent que des muscles fléchisseurs qui les replient vers l’intérieur au repos. Pour les étendre, les araignées pompent activement l’hémolymphe (leur “sang”) depuis leur prosome (partie antérieure du corps), ce qui génère une pression hydraulique dans les articulations

Les chercheurs ont astucieusement tiré parti de cette architecture naturelle compacte et efficace. Après avoir euthanasié une araignée-loup par le froid, ils ont inséré une fine aiguille dans son prosome, colmaté la jonction avec de la colle, puis relié l’aiguille à une source de pression. En y injectant de l’air, ils ont pu ainsi actionner les 8 pattes simultanément, les dépliant ou les repliant à volonté pour saisir des objets. Avec un temps de fabrication d’à peine 10 minutes et une capacité de préhension remarquable malgré sa légèreté (jusqu’à 130% de son propre poids), cette pince nécrobotique offre une alternative peu coûteuse et facile à déployer aux préhenseurs robotiques classiques.

 

Figure de l'article original illustrant la fabrication de la pince nécrobotique et montrant les différentes étapes.

Fabrication de la pince nécrobotique: une araignée est euthanasiée (a) puis une aiguille hypodermique est insérée dans le corps de l’araignée et scellée avec de la colle (b). Une fois la colle durcie, une seringue est connectée à l’aiguille, complétant ainsi la fabrication de la pince nécrobotique (c).

 

Les avantages de l’approche nécrobotique

La nécrobotique offre plusieurs avantages prometteurs par rapport aux pinces robotiques traditionnelles :

Un procédé de fabrication ultra-simplifié

Là où les micro-pinces robotiques nécessitent généralement de multiples étapes complexes de fabrication (moulage, assemblage de plusieurs composants, polymérisation…), souvent limitées en résolution, la nécrobotique court-circuite la majorité du processus. En tirant parti de l’architecture naturelle de l’araignée, une pince fonctionnelle peut être obtenue en une seule étape de fabrication rapide (environ 10 minutes). Cela ouvre la voie à des préhenseurs miniaturisés bien plus faciles et rapides à produire.

Une alternative peu coûteuse et légère

L’utilisation directe du corps de l’araignée permet de s’affranchir de matériaux et procédés coûteux. La pince obtenue est également très légère par rapport à des versions artificielles, ce qui la rend adaptée pour être embarquée sur des drones ou des dispositifs portables où le poids est critique. Cet aspect est renforcé par le fait qu’elle ne nécessite une source d’énergie que pour s’ouvrir et non pour maintenir sa préhension.

Un camouflage naturel pour des applications discrètes

Contrairement à des pinces robotiques artificielles à l’aspect clairement “technologique”, la pince nécrobotique conserve l’apparence et la texture d’une araignée, lui permettant de se fondre naturellement dans certains environnements. Cela ouvre des perspectives intéressantes pour des applications furtives de capture d’échantillons ou de petites créatures en milieu naturel, la pince passant totalement inaperçue.

Une approche potentiellement plus durable

À la fin de sa durée de vie, la pince nécrobotique, essentiellement constituée de matériaux naturellement biodégradables, ne générera que très peu de déchets technologiques par rapport à des versions artificielles. Bien que des études complémentaires soient nécessaires, cet aspect pourrait en faire une option plus écologique, en phase avec les enjeux actuels de développement durable.

En résumé, la nécrobotique offre une voie innovante et pratique pour créer des préhenseurs miniaturisés aux propriétés uniques, difficiles voire impossibles à répliquer artificiellement. Bien que non conventionnelle, cette approche mérite d’être explorée plus avant au vu de ses avantages potentiels en termes de coût, de poids, de furtivité et d’impact environnemental.

 

Conclusion et perspectives

La nécrobotique, bien que non conventionnelle, ouvre de nouvelles perspectives pour créer des systèmes hybrides aux capacités uniques en exploitant astucieusement les architectures complexes et efficaces façonnées par la nature. En transformant une simple araignée morte en une pince robotique fonctionnelle, les chercheurs de l’université Rice ont démontré le potentiel de cette approche pour contourner les contraintes de fabrication traditionnelles et obtenir des préhenseurs miniaturisés, légers et peu coûteux.

Au-delà de cet exemple, on peut imaginer étendre le concept à d’autres “matériaux” biotiques aux propriétés intéressantes. Pourquoi ne pas exploiter les capacités d’articulation ultra-rapide des pédipalpes de scorpions ou la dextérité des tentacules de pieuvre pour développer de nouveaux types de manipulateurs ? La nécrobotique pourrait ainsi enrichir considérablement la “boîte à outils” des roboticiens en leur donnant accès à des architectures optimisées difficiles, voire impossibles à répliquer artificiellement.

Bien sûr, cette approche soulève aussi des questions éthiques sur l’utilisation d’animaux morts qu’il conviendra d’examiner. Des études complémentaires seront nécessaires pour établir des lignes directrices sur l’approvisionnement éthique et les méthodes d’euthanasie appropriées. La durabilité des composants nécrobotiques devra aussi être améliorée, peut-être en s’inspirant des techniques de taxidermie, pour envisager des applications concrètes.

 

Dessin futuriste d'un drone de science-fiction basé sur un insecte volant

Nos futurs drones ?

 

Quoi qu’il en soit, cette pince en araignée morte est une belle illustration du potentiel de la nécrobotique, à la croisée entre biologie et robotique. Gageons que ce domaine émergent nous réserve encore bien des surprises dans les années à venir. La nature n’a certainement pas fini de nous étonner et de nous inspirer pour repousser les limites de ce qui est possible en robotique !

 

 


Pour une exploration plus approfondie, je ne peux que vous inviter à consulter l’article:

Article Source:Yap TF, Liu Z, Rajappan A, Shimokusu TJ & Preston DJ. 2022. Necrobotics: Biotic Materials as Ready-to-Use Actuators. Adv. Sci. 9, 2201174 DOI: 10.1002/advs.202201174