Avec la mondialisation et le changement climatique, les moustiques et d’autres vecteurs envahissent de nouvelles régions du globe, apportant avec eux des maladies émergentes. Décryptage d’un phénomène inquiétant.
Saviez-vous que les moustiques et d’autres arthropodes vecteurs comptent parmi les animaux les plus dangereux au monde ? Et non, ce n’est pas seulement à cause de leurs piqûres désagréables, mais surtout des maladies graves qu’ils peuvent transmettre comme le paludisme, la maladie de Lyme ou la leishmaniose. Avec la croissance des échanges internationaux et le réchauffement climatique, ces arthropodes piqueurs et suceurs de sang se répandent dans de nouvelles régions, devenant de véritables envahisseurs. C’est ce que montre une récente étude scientifique publiée dans la revue « Parasites & Vectors ». Faisons le point sur ce phénomène préoccupant et ce qu’on peut faire pour limiter les risques.
Une longue histoire d’invasions liée aux activités humaines
Les invasions d’arthropodes hématophages ne datent pas d’hier. Depuis le 15ème siècle, le commerce international, les transports, l’urbanisation ont favorisé la dispersion de plusieurs espèces vectrices de maladies. C’est le cas notamment des moustiques Aedes aegypti, Ae. albopictus, Culex pipiens et Cx. quinquefasciatus, ainsi que des tiques Amblyomma variegatum et Rhipicephalus sanguineus.
Ainsi, pour les moustiques, Aedes aegypti, originaire d’Afrique, a envahi les Amériques dès le 17ème siècle avec la traite négrière, provoquant de terribles épidémies de fièvre jaune. Au 20ème siècle, l’essor du trafic aérien a permis au moustique tigre Ae. albopictus de conquérir tous les continents.
Pour les tiques, l’introduction d’A. variegatum dans les Caraïbes au 18ème siècle est liée au transport de bétail depuis l’Afrique de l’Ouest. D’autres espèces comme R. microplus ont été disséminées via le commerce global du bétail.
Avec la mondialisation croissante au début du 20ème siècle, de nouvelles introductions ont eu lieu, comme celle d’Anopheles arabiensis au Brésil dans les années 1930. Ce moustique très compétent pour transmettre le paludisme a causé des épidémies meurtrières avant d’être éliminé. Depuis les années 1950, le développement du commerce de pneus usagés et de certaines plantes ornementales est devenu une voie d’entrée majeure pour les moustiques du genre Aedes, capables de pondre des œufs résistants dans ces gîtes artificiels. Les introductions d’Ae. albopictus aux États-Unis ou en Europe sont ainsi liées à ces filières.
Des envahisseurs opportunistes qui s’adaptent
Mais comment expliquer un tel succès invasif ? Ces arthropodes piqueurs sont en fait de redoutables opportunistes, capables de s’adapter à une grande variété d’habitats, y compris artificiels. Par exemple :
- Le moustique tigre est passé maître dans l’art de pondre ses œufs dans la moindre petite flaque d’eau stagnante : vieux pneus, gouttières, coupelles sous les pots de fleurs…
- En ville, il préfère même ces micro-gîtes artificiels à la végétation, inversant complètement sa niche écologique d’origine !
- Certaines tiques s’adaptent à de nouveaux hôtes vertébrés dans les zones d’introduction.
Le cocktail explosif du changement climatique et de l’urbanisation
Mais comment expliquer un tel succès invasif ? Si les activités humaines favorisent depuis longtemps les invasions d’arthropodes hématophages, le changement climatique et l’urbanisation risquent d’aggraver sérieusement le problème. En effet :
- Le réchauffement ouvre de nouvelles niches thermiques favorables à ces arthropodes sous nos latitudes.
- Les villes, avec leurs îlots de chaleur et leurs eaux stagnantes, sont des habitats rêvés pour les moustiques.
- L’adoucissement des hivers permet à des espèces exotiques de tiques de s’installer durablement. On risque donc une prolifération et une installation durable de nombreuses espèces invasives dans de nouvelles régions du monde.
Ces arthropodes piqueurs sont également de redoutables opportunistes, capables de s’adapter à une grande variété d’habitats, y compris artificiels. Prenons l’exemple du moustique tigre Aedes albopictus. Ce virtuose de la colonisation est passé maître dans l’art de pondre ses œufs dans la moindre petite flaque d’eau stagnante : vieux pneus, gouttières, coupelles sous les pots de fleurs… En ville, il préfère même ces micro-gîtes artificiels à la végétation, inversant complètement sa niche écologique d’origine ! Mais les tiques ne sont pas en reste.
D’autres exemples illustrent la remarquable capacité d’adaptation de ces envahisseurs :
- Certaines populations de moustiques Culex s’adaptent à la pollution des eaux urbaines, tirant profit de cette niche écologique altérée.
- Le moustique Anopheles stephensi, vecteur du paludisme originaire d’Asie, prolifère maintenant dans les réservoirs d’eau des villes d’Afrique de l’Est.
Ainsi, grâce à des capacités d’adaptation hors du commun, ces arthropodes hématophages tirent profit des environnements anthropisés. Véritables opportunistes écologiques, ils sont capables de déplacer leur niche, voire de l’inverser, lors du processus d’invasion. Un atout de taille pour conquérir de nouveaux territoires dans un monde en pleine mutation.
Des impacts sanitaires, écologiques et économiques majeurs
Évidemment, la prolifération de ces arthropodes piqueurs n’est pas sans conséquences. Ils représentent :
- Une menace pour la santé humaine avec l’émergence de maladies comme la dengue, le chikungunya, les encéphalites à tiques ou les leishmanioses sous de nouvelles latitudes.
- Un risque pour le bétail avec des maladies transmises par les tiques comme les babésioses et anaplasmoses.
- Un coût faramineux pour les systèmes de santé et l’économie de l’élevage se chiffrant en milliards. Seuls 15% des coûts économiques liés aux arthropodes hématophages sont consacrés à leur contrôle, le reste étant dédié aux soins médicaux ou à la fois aux soins médicaux et de contrôle.
- Une menace pour la biodiversité, notamment dans les îles où ils s’attaquent à la faune locale. Par exemple, le moustique Culex quinquefasciatus, vecteur du paludisme aviaire, représente une grave menace pour les oiseaux des Galapagos et d’Hawaii.
Le réchauffement climatique risque donc d’aggraver sérieusement ces impacts en ouvrant de nouvelles niches thermiques favorables à ces arthropodes et en augmentant les populations de moustiques, donc les taux de piqûres. Presque toutes les régions du monde sont concernées, y compris les zones polaires et de haute altitude où les populations sont immunologiquement naïves. Même les espèces actuellement introduites mais pas encore envahissantes pourraient le devenir à l’avenir, en raison du concept de “dette d’invasion”, c’est-à-dire le délai entre l’arrivée d’une espèce exotique et sa prolifération.
Mieux surveiller et prévenir les invasions
Face à cette menace grandissante, les scientifiques insistent sur la nécessité d’une surveillance accrue et de mesures de prévention renforcées :
- Développer des systèmes de surveillance et d’alerte précoce aux frontières pour détecter rapidement toute nouvelle introduction. Le xénomonitoring, une technique de surveillance des maladies basée sur la détection de l’ADN ou de l’ARN de pathogènes dans les arthropodes hématophages, devrait être plus systématiquement encouragé.
- Modéliser la dynamique des populations d’arthropodes pour mieux prédire les risques d’invasion dans un monde qui change. Des modèles ont été développés pour automatiser en partie l’identification des envahisseurs.
- Impliquer les citoyens dans des programmes de sciences participatives pour une surveillance à grande échelle. Des applications mobiles comme Mosquito Alert ou GLOBE Observer ont été mises en place pour surveiller les moustiques.
- Développer des boîtes à outils de biosécurité reposant sur des méthodes sémiochimiques, comme des pièges multi-espèces avec des combinaisons d’attractifs.
De plus, une meilleure compréhension des invasions et des maladies émergentes associées aux arthropodes hématophages fournit un système d’étude qui éclairera la gestion d’autres pandémies, comme la COVID-19, étant donné les liens évidents entre la science des invasions et la transmission des maladies infectieuses.
Conclusion
Vous l’aurez compris, avec le changement climatique et la mondialisation, le problème des invasions d’arthropodes hématophages risque de s’aggraver, qu’il s’agisse de moustiques, de ou d’autres vecteurs. Ces envahisseurs opportunistes profitent de l’essor des échanges internationaux et du réchauffement qui leur ouvre de nouvelles niches thermiques. En colonisant nos villes, ils augmentent les risques d’émergence de maladies comme la dengue, le chikungunya ou la maladie de Lyme sous de nouvelles latitudes. Face à cette menace grandissante, il y a urgence à agir à tous les niveaux :
- Un engagement politique fort est nécessaire pour financer la recherche et les mesures de prévention, comme des systèmes de surveillance renforcée aux frontières.
- Les scientifiques doivent mieux comprendre les mécanismes écologiques et évolutifs en jeu pour anticiper les risques d’invasions dans un monde qui change.
- La promotion d’approches intégrées “One Health” considérant les liens entre santé humaine, animale et environnementale est indispensable.
- Enfin, un dialogue renforcé entre scientifiques, décideurs et citoyens permettra une action coordonnée et efficace, en tenant compte des perceptions et préoccupations de chacun.
Alors la prochaine fois qu’un moustique vous piquera, vous penserez à cette histoire fascinante et complexe d’invasions biologiques dans un monde en pleine mutation. Et vous vous demanderez peut-être d’où il vient et quelles maladies il pourrait transmettre… De quoi réfléchir en se grattant !
Pour une exploration plus approfondie, je ne peux que vous inviter à consulter l’article:
Article Source: Cuthbert, R.N., Darriet, F., Chabrerie, O. et al. Invasive hematophagous arthropods and associated diseases in a changing world. Parasites Vectors 16, 291 (2023). https://doi.org/10.1186/s13071-023-05887-x
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