Sous les étendues gelées de la Sibérie se cachent des secrets vieux de milliers d’années…

 

Le permafrost est une couche de sol gelée qui couvre une grande partie de l’hémisphère nord. En plus de sa composition glacée, il contient des échantillons de vie anciens. Avec le réchauffement climatique, le permafrost fond, révélant certains de ces échantillons. Une récente découverte en Sibérie a mis en lumière des nématodes provenant de cette couche gelée. Ces nématodes ne sont pas ordinaire : ils provienent d’une époque bien antérieure à la nôtre. Dans cet article, nous explorerons cette découverte et ce qu’elle signifie pour la science.

 

Qu’est-ce qu’un Nématode ?

Les nématodes, souvent appelés vers ronds, sont des organismes microscopiques qui se trouvent presque partout sur Terre. Ils peuvent vivre dans le sol, dans l’eau douce, dans l’eau salée et même à l’intérieur d’autres organismes. Leur taille varie généralement de 1 mm à 40 cm, bien que la plupart soient bien plus petits ou plus grands.

Ces vers se distinguent par leur forme cylindrique et leur simplicité. Malgré leur apparence simple, ils jouent un rôle crucial dans les écosystèmes. En tant que décomposeurs, ils contribuent à la dégradation de la matière organique, facilitant ainsi le recyclage des nutriments dans le sol. Certains nématodes sont également des prédateurs d’autres petits organismes, tandis que d’autres peuvent être nuisibles pour les plantes ou les animaux, y compris l’homme.

La diversité des nématodes est impressionnante. On estime qu’il existe plus d’un million d’espèces différentes, bien que seulement une fraction d’entre elles ait été décrite. Cette diversité reflète leur capacité à s’adapter à une multitude d’environnements, des profondeurs océaniques au permafrost sibérien.

 

La Découverte

Imaginez un instant fouiller dans les profondeurs gelées de la Sibérie et tomber sur un organisme qui n’a pas vu la lumière du jour depuis des millénaires. C’est exactement ce qu’un groupe de chercheurs internationaux a accompli, et leurs découvertes ont été publiées cet été dans le journal PLOS Genetics.

Il s’agit en fait d’une collaboration internationale entre des équipe de recherche russes, allemandes, suisse, anglaise et irlandaise : ” Institute of Physicochemical and Biological Problems in Soil Science RAS ” de Pushchino, ” Zoological Institute RAS” de St Petersburg et ” Department of Invertebrate Zoology, Lomonosov Moscow State University” de Moscow pour la Russie, du “Max Planck Institute for Molecular Cell Biology and Genetics” de Dresden, “Center for Systems Biology” de Dresden, “Institute for Zoology, University of Cologne” de Köln,  “Dresden concept Genome Center” de Dersden, “Loewe Centre for Translational Biodiversity Genomics, Senckenberg Society for Nature Research & Goethe University” de Frankfurt pour l’Allemagne, “Institute of Biochemistry, ETH Zurich” de Zurich pour la Suisse, “Tree of Life, Wellcome Sanger Institute” de Cambridge pour le Royaume Uni et enfin “School of Biology and Environmental Science, University College Dublin, Belfield” de Dublin pour l’Irlande, a mis la lumière sur des nématodes qui ont survécu dans le permafrost sibérien pendant une très longue période .

L’équipe a prélevé des échantillons du permafrost, cette couche de sol gelée qui a conservé des secrets de notre planète pendant des millénaires. En examinant ces échantillons en laboratoire, ils ont découvert ces nématodes vivants, témoins silencieux de l’histoire de la Terre. Ces vers étaient en cryptobioses, c’est a dire un état de vie suspendue dans lequel il ont pu survivre à des conditions extrêmement défavorables en arrêtant presque tous leurs processus métaboliques.

 

Site de prélèvement montrant des coins de glace et des dépôts de permafrost, rivière Kolyma, Sibérie.

Vue de la partie supérieure de la zone de prélèvement montrant des coins de glace et des dépôts limoneux du permafrost, sur le site de recherche de Duvanny Yar sur la rivière Kolyma, Sibérie du nord-est.

 

Des exemples notables de cryptobiose comprennent une spore de Bacillus préservée dans l’abdomen d’une abeille elle même préservée dans de l’ambre pendant 25 à 40 millions d’années et une graine de Lotus vieille de 1000 à 1500 ans qui a germé. Les recherches ont montré que le pergélisol (sol gelé en permanence) préserve les formes de vie pendant des milliers d’années à des températures sous zéro. Les records les plus longs de cryptobiose chez les nématodes rapportés jusqu’à présent pour des espèces Antarctique étaient 25,5 ans pour Plectus murrayi (dans de la mousse congelée à -20˚C), et 39 ans pour Tylenchus polyhypnus (dans un spécimen d’herbier desséché).

Les analyses préliminaires lors de cette étude  indiquent que ces nématodes appartiennent aux genres Panagrolaimus et Plectus. Les individus du genre Paragrolaimus ont été daté au radiocarbone assez précisément et datent de la fin du Pléistocène, ce qui veut dire qu’ils sont restés en cryptobiose depuis environ 46 000 ans.
présentons une datation précise au radiocarbone indiquant que les individus de Panagrolaimus sont restés en cryptobiose depuis la fin du Pléistocène (~46 000 ans). Les analyses phylogénétiques et morphologiques réalisées montrent également qu’il s’agit d’une nouvelle espèce que les chercheurs ont nommés Panagrolaimus kolymaensis.

 

Image composite montrant la morphologie de P. kolymaensis avec des photos au microscope électronique, des images en microscopie optique et des illustrations graphiques.

Morphologie générale de P. kolymaensis femelle (images au microscope électronique à balayage, photographies en microscopie optique et représentations graphiques).

 

Pourquoi est-ce important ?

La découverte d’un nématode dans le permafrost sibérien n’est pas simplement une curiosité scientifique. Elle soulève des questions fondamentales sur la survie, la longévité et les limites de la vie telle que nous la connaissons.

Ces résultats indiquent qu’en s’adaptant pour survivre à l’état cryptobiotique pendant de courtes périodes dans des environnements comme le pergélisol, certaines espèces de nématodes ont acquis la capacité pour des vers individuels de rester dans cet état pendant des durées géologiques. Cela soulève la question de savoir s’il existe une limite à la durée pendant laquelle un individu peut rester à l’état cryptobiotique. De longues périodes pourraient être limitées uniquement par des changements drastiques de l’environnement, tels que de fortes fluctuations de la température ambiante, la radioactivité naturelle ou d’autres facteurs abiotiques.
Ces découvertes ont également des implications pour notre compréhension des processus évolutifs, car les temps de génération peuvent être étendus de jours à des millénaires, et la survie à long terme des individus d’espèces peut conduire à la refondation de lignées autrement éteintes. Cela est particulièrement intéressant dans le cas des espèces parthénogénétiques, car chaque individu peut fonder une nouvelle population sans avoir besoin de trouver un partenaire, c’est-à-dire en évitant le coût de la reproduction sexuée. En effet, la parthénogenèse est un mode de reproduction asexuée où un organisme se développe à partir d’un ovule non fécondé, sans intervention d’un spermatozoïde.Enfin, comprendre les mécanismes précis de la cryptobiose à long terme et les signaux qui conduisent à des réveils réussis pourrait aboutir à de nouvelles méthodes pour la conservation à long terme des cellules et des tissus, voire d’organismes vivants entiers.

 

Conclusion

La découverte de nématodes en cryptobiose dans le permafrost sibérien nous rappelle l’incroyable résilience de la vie face aux défis environnementaux. Cet organisme, qui a survécu pendant des millénaires dans des conditions extrêmes, offre une perspective unique sur les mécanismes d’adaptation et de survie. Alors que nous continuons à explorer et à comprendre notre planète, de telles découvertes mettent en lumière l’importance de la recherche scientifique. Elles nous montrent que, même dans les endroits les plus inattendus, la vie trouve un moyen de persister, nous offrant des leçons précieuses sur la survie et l’adaptation.

 

 


Pour une exploration plus approfondie, je ne peux que vous inviter à consulter l’article:

Article Source: Shatilovich A, Gade VR, Pippel M, Hoffmeyer TT, Tchesunov AV, et al. (2023) A novel nematode species from the Siberian permafrost shares adaptive mechanisms for cryptobiotic survival with C. elegans dauer larva. PLOS Genetics 19(7): e1010798 [https://doi.org/10.1371/journal.pgen.1010798]